lundi 25 février 2013

Vers l'épuisement des ressources

S'il est un sujet totalement absent du spectre politique, la pénurie des ressources soulève un défi majeur des décennies à venir. Les Verts focalisent leurs électeurs sur l'idée du réchauffement climatique, obnubilé par le seul impact carbone ; les partis traditionnels jouent également la carte du développement durable, sans noter l'oxymore ; les partis souverainistes, lucides sur les causes de la crise passée et à venir, ne parviennent pas à nuancer les bienfaits de la croissance et de la fuite en avant qu'impose l'usure.
Jean-Baptiste Say écrivait : "Les richesses naturelles sont inépuisables, car, sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être ni multipliées ni épuisées, elles ne sont pas l'objet des sciences économiques". Les économistes actuels n'ont pas l'excuse d'écrire en 1815.

Des ressources épuisables

Et pourtant un constat simple mérite d'être exposé : la quasi-totalité des métaux va devenir inexploitable. La quantité disponible de chacun est inconnue, mais les chiffres de la production, de la consommation, et des découvertes de gisements permettent d'évaluer la date critique.

Prenons le cas de l'argent. Les réserves disponibles sont évaluées par Mineral Resources Program à 530k tonnes, soit au rythme actuel, un épuisement total en 2033. L'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) donne 13 ans de réserves étant donné la production mondiale. Au rythme actuel de consommation, il reste 35 ans de réserve pour le cuivre. Le marché du cuivre, dont la teneur des minerais est passée de 1,8 % à 0,8 % en 80 ans, a subi un déficit de production de plusieurs années jusqu'en 2012 et les nouveaux programmes, s'ils fonctionnent tous, assureront un surplus jusqu'à seulement 2018. Tout n'est pas que fantasme et contorsion du chiffre : programme militaires retardés aux Etats-Unis - et 15 ans pour construire une filière - ou ballons supprimés à Disney Tokyo par pénurie d'hélium. Autant dire qu'à l'inverse de Colbert qui repeupla nos forêts pour l'horizon de "l'an deux mille", la capacité de vision à long terme de nos dirigeants peut déjà être mise en doute.

L'échéancier donné par terresacree.org est pessimiste car il ne tient pas compte des conduites ajustées des divers gouvernements : après l'asphyxie de la Chine sur l'exploitation des terres rares à 97 %, les gouvernements, en particulier américain, songent avec retard à pallier cette dépendance et investissent massivement dans de nouveaux sites. Il ne comptabilise pas les possibles gisements futurs ; ceux-ci seront néanmoins moins manifestes, et comme nous l'avons vu moins rentables que les minerais exploités jusqu'alors.

Au contraire, l'échéancier est optimiste. Premièrement, il n'intègre la hausse de la demande mondiale : 3 % par an pour le cuivre et 10 % pour le dysprosium et le néodyme (voir plus bas). Deuxièmement, au fur et à mesure de l'épuisement de chaque métal, le report d'une technologie sur une autre pèsera immédiatement sur la nouvelle cible : le marché des écrans tactiles va puiser dans les ressources d'indium plus rapidement que prévu, avec comme seul candidat potentiel pour le remplacer les nanofils d'argent. Enfin, il ignore les aléas géopolitiques : Chili et Pérou détenant 41 % des réserves de cuivre, on ne souhaite pas qu'un des ces pays sombre par exemple dans une guerre civile, ou comme la Chine limite stratégiquement ses exportations. D'autant que la sensibilité des cours face à l'offre est forte, quand un incident dans une seule mine provoque des envolées de prix.

Que l'argent ou le cuivre ne s'épuise finalement qu'en 2070 ou 2100 doit-il nous réjouir ?

Les retombées humaines

Face à de telles convoitises, le pragmatisme des pays et des firmes conduit nécessairement à l'exploitation peu scrupuleuse de la situation. Fier que la France se soit libérée du poids moral de l'épopée minière, se soucie-t-on désormais que Germinal perdure outre-atlantique, dans les mines d'argent de Bolivie ? Quinze mille mineurs, à partir de 8 ans, travaillant jusqu'à 20h par jour en manque d'oxygène et dans la poussière, nourris à la feuille de coca pour tenir, dont 30 à 40 laisseront chaque année la vie à la suite d'accidents ou plus souvent de maladies pulmonaires (texte ou reportage). On s'attend d'ici 20 à 30 ans à l'écroulement de la montage. Dans d'autres cas, le prétexte de l'aide au développement permet la mise en esclavage de régions entières. Le géant helvétique Glencore participe au pillage du cuivre zambien, le tout mêlé d'évasion fiscale et de transferts frauduleux vers la Suisse, sans considération ni pour ses employés ni pour la population locale qu'elle empoisonne à l'acide sulfurique et au soufre. Autre exemple, la pression de la demande en tablette numérique et téléphones intelligents, vendus par centaines de millions en 2011, participe entre autres à la ruine écologique de l'île de Bangka : rivières contaminées, accès à l'eau potable problématique pour la moitié des insulaires, forêts et récifs coralliens meurtris à plus de 60 %, accidents à la mine. Enfin, l'extraction et le raffinage des terres rares utilisent acides métaux lourds et déchets radioactifs, rejetés sans législation ni souci des populations, alors soumises à des taux de cancer dramatiques. Les nouvelles perspectives de tentative d'exploitation des nodules polymétalliques des grands fonds marins sera une menace directe et irréversible pour la biodiversité sous-marine.

Mais lors d'enjeux majeurs, l'industrie de la souffrance, par le biais politique, s'étend à l'ensemble d'un pays. Comme au temps des Khmers rouges où le commerce du bois leur assurait subsistance et prospérité avec 10 à 20 millions de dollars par mois, le contrôle du négoce de matières précieuses comme le diamant a renforcé l'assise de groupes rebelles immoraux, entretenant par exemple la guerre civile en Angola (1975-2002). Nombreuses sont les ressources convoitées qui interviennent dans la genèse des conflits : Congo Brazzaville (pétrole), Liberia (bois, diamant, fer, huile de palme, cacao, café, caoutchouc, or), Sierra Leone (diamant), Soudan (pétrole), et République démocratique du Congo (cuivre, coltan, diamant, or, cobalt). La guerre du coltan, sous-médiatisée probablement pour ne pas risquer d'enrayer le marché de l'électronique, est considérée comme une des causes les plus meurtrières depuis la Seconde Guerre Mondiale, avec un nombre de morts estimé à 5 millions. Et avec ses corolaires : renforcement de l'armée rwandaise, massacre des gorilles, dévastation des forêts, viols comme arme de guerre, esclavagisme. Citons encore les guerres déclarées au nom des droits de l'homme contre des pays stratégiques, en Irak, Afghanistan, ou en Libye, qui sèment toujours chaos et destruction sans apporter jamais la démocratie qu'ils prétendent vouloir instaurer.

Si ce billet couvre essentiellement la déplétion des métaux, d'autres ressources non élémentaires viennent déjà à manquer et engendrent de nocives retombées : outre l'emblématique pétrole, le sable cambodgien indispensable dans la construction, l'huile de palme et l'écosystème de Bornéo, la forêt amazonienne, l'épuisement des sols par la mono-culture et la surexploitation. Les asiatiques et les sud-américains n'en sont sûrement pas les seuls responsables.

L'impossibilité d'une économie circulaire

Malgré cela, la foi en l'humanité, ou la paresse, nous conforte dans la nécessité de l'existence d'une porte de sortie. Pourtant, la diminution de l'impact écologique par les technologies vertes cache les dégâts causés à la source dans le pays producteur, la Chine en particulier. Ensuite, le positivisme et la foi dans le progrès sous prétexte que l'homme s'en est toujours sorti, outre le sophisme, ne prennent justement pas en considération les limitations dans notre capacité d'innovation imposées par l'épuisement des métaux.

Nous transposons également la présence de nos deux poubelles domestiques à l'existence de filières de recyclage équivalentes pour chaque ressource. Si certains métaux sont très propices au recyclage, comme l'aluminium non fusionné ou le zinc, c'est loin d'être le cas pour tous. Au vu du peu de moyens mis en œuvre jusqu'à aujourd'hui, les temps de recherche nous condamnent à attendre près de 10 ans pour mettre en place ce genre de dispositifs. Il faudrait en parallèle que les industries ne voient pas le gain à court terme et conçoivent à l'origine des pièces destinées à être recyclées facilement. Ce qui impliquerait nécessairement une perte de performances dans l'immédiat et une baisse de compétitivité, voire un abandon du produit. Pour des chiffres plus généraux, selon une étude du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE),  "moins d'un tiers des quelque 60 métaux étudiés ont un taux de recyclage en fin de vie supérieur à 50 % et 34 éléments, dont beaucoup jouent un rôle crucial dans les technologies propres, comme les batteries de voitures hybrides ou les aimants d'éoliennes, ont un taux inférieur à 1 %". Bien que tous les métaux soient "intrinsèquement recyclables" en théorie, ils concluent que "la société du recyclage ne semble qu'un lointain espoir".

Par exemple, le tantale, imprégnant massivement les condensateurs et sans équivalent compétitif, se recycle à 20 %, mais uniquement à partir des chutes, et nullement des condensateurs déjà fabriqués qui ne le contiennent que de manière dispersée, donc très difficilement récupérables. C'est un des deux éléments contenu dans le coltan meurtrier. "Ces usages dispersifs peuvent représenter une part importante de leur utilisation : 20 % pour le cobalt, 40 % pour le molybdène, 98 % pour le titane (sous forme de dioxyde, le colorant blanc universel)", nous explique Philippe Bihouix. Egalement  problématique le cas de certains gaz dont l'abondance ne fait pas soupçonner sa rareté pratique : l'usage de l'hélium dans les ballons de fêtes, les airbags, les IRM, les fusées, les écrans plats, condamne le gaz à être perdu pour toujours. Il restera la Lune ou Neptune, ou un processus de synthèse qui engendrerait selon le prix Nobel Richardson un prix 10.000 fois plus élevé que l'actuelle extraction dans les gisements naturels. À noter son l'usage putatif de l'Hélium-3 en fusion nucléaire, qui restreindrait donc le champ des possibles dans la recherche d'alternatives énergétiques. Il resterait 40 ans d'hélium, sans aucun autre élément aux propriétés similaires. Autre défi, comment recycler efficacement les 3000 alliages de nickel différents ou les super-alliages aéronautiques de 15 métaux imbriqués ? Enfin, même lorsque cela est possible, la recherche sur l'amélioration du recyclage pourrait être trop tardive, comme dans le cas du néodyme.

L'ensemble du problème, et dans une moindre mesure le recyclage, restent fortement dépendants de considérations énergétiques, car des procédés souvent très énergivores sont utilisés. L'interdépendance énergétique se joue d'ailleurs dès l'extraction, car 10 % de l'énergie primaire mondiale est dépensée pour l'extraction et le raffinage des métaux, proportion qui ne fera qu'augmenter compte tenu des difficultés croissantes à trouver des gisements rentables. Dans le sens inverse, les éoliennes et les moteurs requièrent à l'heure actuelle du néodyme en masse (dont le cours  a été temporairement multiplié par 5 en un an à cause des restrictions exportatrices chinoises), le photovoltaïque de l'argent, et les centrales du zirconium, nickel, chrome, cobalt, tungstène, plomb pour la structure et des métaux lourds pour fonctionner. Nous touchons aux limites en uranium, dont la consommation n'est assurée que pour moitié par les gisements, le reste provenant de résidus militaires. Le thorium pourrait présenter une alternative, mais nous devrons attendre au moins 20 ans pour que soient potentiellement développés en Chine les réacteurs à sels fondus.

Le futur

Nous ne sommes pas à l'abri d'une bonne surprise, voire de plusieurs, mais la probabilité que tous les problèmes se résolvent ensemble paraît limitée, au fait par exemple de trouver une source illimitée d'énergie et au fait que tout soit désormais fabriqué en nano-carbone. Jusqu'à preuve du contraire, nous sommes donc face au spectacle d'un mythe qui s'effondre, celui du Progrès. Le constat est simple : notre monde schizophrène doit à la fois souhaiter la croissance et son absence, à savoir une grande récession mondiale. 

Les solutions qui ne basent pas uniquement sur un optimisme forcené semblent donc impliquer un retour à la sobriété, que la sur-stimulation publicitaire nous a fait passer pour odieusement moyenâgeux. Par ailleurs, le refus de la croissance à tout prix devra passer par un refus de l'accaparement de la richesse par l'usure. Ce véritable défi devra se résoudre au milieu des autres : la cessation de paiement de la Grèce, l'affrontement ethnique, les émeutes, la bataille de l'eau, la spéculation sur les denrées alimentaires, les déstabilisations géopolitiques, le déclin de notre armée et de la sécurité, les dérives nucléaires, les difficultés énergétiques, l'abêtissement des masses et l'individualisme grandissant. Il reste à se plaindre, faire l'autruche, nier, attaquer le messager, ou accepter sereinement la vérité et grandir avec, dans l'espérance. La recherche de simplicité pourrait justement participer de manière générale à l'apaisement des problèmes ci-dessus décrits.

Pour répondre à ceux qui disent "faut-il donc s'arrêter de vivre ?", la véritable question serait plutôt "ai-je besoin pour mon bonheur et celui de mes proches de puiser dans le superflu ?". A chacun de déterminer son superflu selon sa conscience. Une bague en diamant, un iPhone5 qui supplante le 4e modèle, un voyage aux Maldives, à vous de juger. Ce monde où s'exerce la facilité au-dessus du sens commun, où l'obsolescence programmée nous contraint d'acheter, où les sirènes libérales nous font perdre notre joie de vivre, justifie-t-il nos excès ? Nous qui fûmes scolairement baignés par l'épopée de l'abolition des privilèges, ferons-nous, chacun dans notre seule liberté, le vœu de délaisser les nôtres en tournant nos regards vers nos enfants et vers ceux qui souffrent ?